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lundi 6 juin 2011

I.Mes ancêtres stéphanois : maîtres-armuriers et négociants-fabricants de rubans


         L'arrière grand-père de mon grand-père paternel, Jean-Pierre Trouilleux, né le 21 janvier 1785 à Saint-Héand, était maître armurier à Saint-Etienne.

       C’est sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV que la métallurgie stéphanoise a pris son essor. Elle se divise alors en trois spécialités :
       En premier lieu la quincaillerie qui est la plus ancienne. Plus de 1500 articles, ustensiles de cuisine, serrures, outils sont fabriqués par près de cinquante professions, forgeurs et faiseurs spécialisés chacun dans une seule fabrication qui reste en général de médiocre qualité. La " clinquaille " stéphanoise succombera vers la fin du XVIIIème siècle face à la rude concurrence, anglaise en particulier.
       Vient ensuite la coutellerie, un métier organisé en corporations vers 1658 et qui produit dès 1636 le fameux couteau " Eustache " vendu dans le monde entier. Il fut fabriqué jusque vers les années 1940.


     L’armurerie enfin va faire la renommée de Saint-Etienne.  En 1669 les armes étaient fabriquées dans les ateliers dispersés de 600 maîtres-armuriers, graveurs sur métaux, platiniers, limeurs, fourbisseurs et autres forgeurs de lames qui firent la réputation de la cité: Pierre Girard, maître-armurier du Régent, Louis Jaley (qui cisela l’arme fabriquée par Bouillet pour le roi Louis XV, lequel préféra la garder pour lui plutôt que de l’offrir au dey d’Alger). Bouillet fils, armurier du prince de Conti, Berthéas dit " Bras d’or " pour son extrême habileté, puis plus tard les Duprès, Olanier… 

       En 1665, Colbert organise la production des armes au profit du pouvoir royal en envoyant à Saint-Etienne Dalliez de la Tour chargé d’établir un contrôle strict de la fabrication. En 1716, c’est l’inspecteur de Saussay qui prend la relève et veille à combattre les productions clandestines. Mais c’est à M. de Montbéliard, inspecteur de la Manufacture de Charleville que l’on doit la création en 1764 de la Manufacture royale de Saint-Etienne qui regroupera les ateliers dispersés dans la région, et deviendra fournisseur exclusif de l'armée du roi, mais aussi des insurgés américains, de l'ordre de Malte et de la Compagnie des Indes. Avec cette nouvelle organisation " centralisée " la production devait passer de 3 000 armes par an à près de 20 000.
        A la Révolution, la cité florissante est même rebaptisée par la Convention et portera en 1793 le nom d'Armeville ! La production d'armes ne cessera d'augmenter, stimulée par les politiques expansionnistes du premier comme du second empire. 

         C'est ce contexte économique que mes ancêtres ont exploité, bénéficiant d'un savoir faire local et d'une période de prospérité intense, pour devenir maîtres armuriers.

            En 1832, Jean-Pierre Trouilleux était réviseur à la Manufacture Royale d'armes à feu. 




L'industrie des armes portatives à Saint-Étienne,1777-1810. L'inévitable mécanisation ?
Jéréme-Luther Viret
Publié dans
Revue d’histoire moderne et contemporaine
2007/1 (no 54-1)
Éditeur
Belin
Pages 171 - 192
À la fin du XVIIIe siècle, la production d’armes à feu portatives à Saint-Étienne fonctionne, pour l’essentiel, selon le modèle du Verlags-system. Sauf accident conjoncturel, le marchand-fabricant procure la matière première aux artisans de la Manufacture royale d’armes de guerre ou du secteur civil (le « commerce »). Les marchands-fabricants armuriers qui travaillent pour la couronne, et reçoivent les commandes du ministère de la Guerre, sont appelés « entrepreneurs ». Le ministre leur passe commande sous forme de marchés au début de chaque année. En 1783, on comptabilise à Saint-Étienne 269 marchands-fabricants, mais seulement une poignée d’entrepreneurs. Pour les fournitures du roi, Saint-Étienne est concurrencée par Charleville et Maubeuge, mais conserve la première place. À la tête de la Manufacture d’armes de guerre se trouve un inspecteur, issu du corps royal de l’Artillerie. Il surveille de près la fabrication, aidé dans cette tâche par quatre contrôleurs recrutés dans le corps des ouvriers. Les ouvriers de la « Manufacture », maîtres et compagnons, travailleurs à domicile, au nombre d’un millier en 1727, sont spécialisés dans la fabrication de l’une ou l’autre partie de l’arme. Cette division du travail repose sur des métiers, et correspond à ce que Philippe Lefebvre appelle « la manufacture non innovante hétérogène. Un certain nombre d’ouvriers, essentiellement monteurs, sont réunis dans les bâtiments de la Manufacture, place Chavanelle. Mais les plus nombreux, et en particulier les ouvriers platineurs (fabricants de platines), sont dispersés dans des ateliers à la campagne. Point capital pour la suite, les ouvriers de Saint-Étienne sont libres de travailler pour qui ils veulent, et passent facilement d’un marchand ou d’un entrepreneur à l’autre. Ils peuvent facilement quitter la Manufacture pour le secteur civil. Les personnels de Maubeuge et Charleville n’ont pas la même liberté, faute d’un secteur civil.


         Il existe encore chez mes parents une paire de pistolets de duels et un moule à balles datant de cette époque, et on peut trouver dans des collections privées des productions de l'atelier familial, comme celles figurant sur les photos ci-dessous :



      Coffret  en chêne clair habillé de chamois rouge contenant une paire de pistolets de duel de fabrication française, calibre 66 à canon rayé de 22.5 cm, octogonal  et damasquiné, ainsi qu'une tige pour charger et une pour nettoyer, un tourne-vis et un maillet, un moule à balles et une poire à poudre marquée  “BOCHE Bte A PARIS”. Une serrure porte l'inscription "Trouilleux" et l'autre "A Saint-Etienne".



Poire à poudre
Moule pour fondre les balles


 Canardier de calibre 8

signé par Jean-Pierre TROUILLEUX à Saint-Etienne,
Maitre armurier specialisé dans les armes fines.
La bascule a été réalisée par la maison L.Peyrot,
les canons par Massadier Peillon.
 
Una autre paire de pistolets de duel, un peu moins bien conservés :
 






 


       Du mariage, célébré le 5 février 1817, de Jean-Pierre Trouilleux (né le 21 janvier 1785) avec Agathe Rose Offray (née le 27 janvier 1787) naquirent 6 enfants. L'aîné, Claude Marie Trouilleux (1817-1887) fut juge-consul au tribunal de commerce, et le cadet, Jacques Marie Trouilleux,  (1819-1900), fut artiste peintre.



Jean-Pierre Trouilleux     Agathe Rose Offray





Gravures signées Jacques Trouilleux, 
l'Artiste de la famille,
1876

Il fut le premier Trouilleux à travailler dans le textile, car il fut au commencement de sa carrière artistique "peintre de fabrique" et "dessinateur en ruban".

      Le 14 avril 1852, Claude Marie Trouilleux épousa Marie Claudine Moulard (1830-1922).



Claude Marie Trouilleux  Marie Claudine Moulard


   Marie Moulard, née le 3 février 1830 à Saint-Héand, était la fille de jean-Baptiste Moulard, rentier, originaire de Saint-Héand où il mourut le 26 mars 1882 à l'âge de 91 ans. Il avait épousé Benoîte Amy, fille de Jean-Claude Amy et d'Antoinette Delpame, née le 6 ventôse de l'an VIII (25 mars1800) à Turins dans le Rhône, dont sa famille était originaire, et plus particulièrement du lieudit de La Goyenche.
      
Leur fils unique, Jean Trouilleux (1853-1939), mon arrière-grand-père, épousa le 22 avril 1891 Reine Tivet ( 1865-1940), dont l'aïeul maternel, André Merllié, avait fait fortune dans l'autre industrie traditionnelle de la ville de Saint-Etienne, la fabrication et le commerce du ruban de soie.

Jean Trouilleux                 

       Je me souviens d'une petite loupe carrée en cuivre qui se pliait  comme un triptyque, dont la partie centrale portait une loupe, et une autre un monogramme qui représentant la lettre T (pour Tivet ?), dont on nous expliquait qu'elle était utilisée autrefois par nos ancêtres pour observer la trame des tissus et compter les fils  des rubans.





       Depuis le XVème siècle, se tenaient à Lyon des foires où l'on trouvait des soieries importées d'Italie. En 1466, Louis XI décide d'y créer une manufacture, projet relancé par François Ier en 1536, pour fabriquer localement les draps d'or, d'argent et de soie. Sous Henri IV apparait l'idée de produire la soie en France : le roi fait planter 400.000 mûriers dans les Cevennes et en Ardèche. En 1667, Colbert donne à la "Grande Fabrique de Soie" lyonnaise son réglement, détaillant la qualité attendue pour les commandes royales, la largeur des étoffes ou le nombre de fils utilisés. Au XVIIIéme siècle, Lyon est devenue la capitale de la soie et sa réputation gagne les cours européennes de Russie et d'Espagne.

       Le terme de Fabrique sera également utilisé à Saint-Etienne pour désigner la rubanerie ou la passementerie, dont elle deviendra la capitale mondiale. Dès 1603 il existe une confrérie des passementiers intitulée "Notre-Dame-des-Carmes ". En 1683 la ville compte déjà près de 10 000 métiers à tisser, 60 fabricants et 4500 tisseurs.En 1808 la ville obtient la création d'une "Condition des Soies" sous administration municipale. Cette activité économique représente en 1846 la moitié du chiffre d'affaire des industries stéfanoises et fait vivre 40.000 personnes : Saint-Etienne devient la première ville ouvrière de France ! Avant la crise de 1880, on dénombrait dans la cité 7.000 ouvriers passementiers et 250 négociants-fabriquants.




        André Merllié (1789-1869) est issu d'un milieu trés modeste de vignerons : son père fut aubergiste et sa mère était passementière. Il commenca tout en bas de l'échelle comme colporteur, c'est à dire vendeur sur les foires et les marchés pour la maison Duval, une des trois plus anciennes fabriques de rubans de Saint-Etienne. Puis il gravit les échelons : apprenti, commis, principal commis. Le 20 janvier 1824 il épouse Reine Rostain, dont la soeur a épousé Antoine Balançard, fabriquant de rubans et meilleur ami d'André Merllié. 



      Sa femme lui apporte une dot de 10.000 francs ( 25.000 € d'aujourd'hui)  qui lui vont lui permettre de se lancer dans les affaires. A la mort de son patron  en 1825, André Merllié et Antoine Balançard s'associent pour créer leur propre fabrique de rubans.  Puis à la mort de Balançard en 1833, il se met à son compte. Il sut profiter de l'air du temps : la mode de Paris était aux rubans et elle s'exportait en Russie et aux Etats-Unis, qui n'avaient pas d'industrie. Il sut profiter également des progrès techniques de la révolution industrielle : la fabrication de la soie se mécanisait, les métiers à tisser pouvaient créer jusqu'à 12 rubans en même temps, et la production était commercialisée par la première ligne de chemin de fer de France qui passait par Saint-Etienne. Lui même participera d'ailleurs modestement à ce vaste mouvement d'innovation, en déposant le 14 mai 1867 au greffe des brevets d'invention des industries textiles un procédé de fabrication nouvelle et spéciale de ruban, velours et peluche.







[Illustrations de Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers. Tome 1 des planches] / Lucotte... [et al.], dess.; Bénard, grav. ; Denis Diderot et D'Alembert, aut. du texte - 50

[Illustrations de Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers. Tome 1 des planches] / Lucotte... [et al.], dess.; Bénard, grav. ; Denis Diderot et D'Alembert, aut. du texte - 53

 [Illustrations de Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers. Tome 1 des planches] / Lucotte... [et al.], dess.; Bénard, grav. ; Denis Diderot et D'Alembert, aut. du texte - 54
[Illustrations de Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, arts et métiers. Tome 1 des planches] / Lucotte... [et al.], dess.; Bénard, grav. ; Denis Diderot et D'Alembert, aut. du texte - 55

Métiers à faire le ruban
Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
Tome XI, métier et artisanat, 1765
      
Les cinq demoiselles Merllié nées de ce mariage furent pensionnaires chez les Ursulines à Lyon, et quand on les maria,  elles reçurent chacune une dot de 40.000 francs (100.000 € actuels) et un mari dans la corporation des soyeux!       
                                                                                                                

      C'est ainsi que la benjamine des enfants Merllié, Anne-Marie  (1839-1932),   épousa le 19 avril 1864 Jean-Baptiste Tivet (1830-1897), fabriquant de rubans. C'était un véritable homme d'affaire qui voyageait beaucoup et parlait couramment l'anglais et l'espagnol.



Jean-Baptiste Tivet (1830-1897)


Anne-Marie  Merllié (1839-1932)

        Leur fille aînée Reine Tivet (1865-1940) épousa le 22 avril 1891 mon arrière grand-père Jean Trouilleux (1853-1939).



Reine Tivet (1865-1940)




       Ils eurent trois enfants dont mon grand-père Aimé Trouilleux (1895-1979). 






Aimé Trouilleux

        Il s'engagea comme volontaire dans la cavalerie en 1914 dans le 14ème régiment de Dragons . Promu sous-lieutenant le 8 juillet 1918, croix de guerre et étoile de vermeil, deux citations dont une du 22 octobre 1918 :

"Officier brave et courageux, s'est fait remarquer dans la journée du 12 septembre 1918 par sa crânerie au feu, a donné à sa troupe un mordant irrésistible à la poursuite de l'ennemi".

          Il épousa le 28 octobre 1924 Jeanne Lemerle dont il aura six enfants :





       A Folgoux, propriété de la famille depuis 1813

          Au début des années 20, il part en Indochine où il sera planteur d'hévéa.

         De retour en France après la seconde guerre mondiale, il s'installe à Sainte-Radegonde ( Lanneray,  Eure-et Loir ) où nous allions passer les week-ends en famille, auprès de ce grand-père extraordinaire, qui m'appelait "grand" et vociférait des citations latines, avait chargé les prussiens à cheval un sabre à la main  et chassé le tigre dans les forêts de Cochinchine, vivait seul avec sa bonne et un vieux jardinier pyromane, et partait l'hiver faire le tour du monde, en laissant sa clé sur la porte, pour aller assister au carnaval de Rio, visiter le temple de Boru-Budur  ou descendre l'Amazone en pirogue...



Sainte-Radegonde
Le  bâtiment central de style Louis XIII date de 1787.
 Les deux pavillons latéraux et la tour sont plus anciens.



       
           Un  arbre généalogique émanant vraisemblablement 


d'un cousin Vignet est consultable à l'adresse suivante :


http://genealogies.geneamania.net/vigvaux/Fiche_Fam_Pers.php?Refer=244


6 commentaires:

Anonyme a dit…

http://www.hostingpics.net/viewer.php?id=912447image.jpg

http://www.hostingpics.net/viewer.php?id=934953image.jpg

Voici deux photos qui détaillent mon site vigvaux

1er mariage d'Aymé Trouilleux avec Etiennette Pupier
2iéme avec Marie Baroud
Au total 24 enfants dont avec Marie Baroud le 19.8.1696 un Claude qui pourrait etre le Claude marié avec Vital Chorel
Ce Trouilleux Aymé donc de La Rajasse était marchand et signait bel et bien
Son pére Antoine était marié à antoinette Fernay
Sans avoir la preuve de la filiation le prenom rare merite le détour de cette hypothese
Bruno

Unknown a dit…

Eric, je ne me lasse pas de l'histoire familiale, merci de tes recherches ! Quel grand-père ce "Bon Papa" !
Cousine Catherine

Arnold a dit…

la photo du mariage d'Aimé Trouilleux avec Jeanne Lemerle dite Pepita est légendée "La Chaise-Dieu, 1924" or il s'agit manifestement de l'église de Malvières, près de laquelle est d'ailleurs enterrée Mme Pepita avec sa petite fille Oliva (ou Olivia ?)...

Offrey a dit…

En faisant des recherches sur l'histoire des armes à Saint-Etienne (un de mes ancêtres était Président de la Chambre Syndicale des Fabricants d'Armes de Saint-Etienne en 1881), quelle surprise de trouver une photo de Agathe Rose Offray avec laquelle j'ai une lointaine parenté (5ème et 11ème génération). Partant de Lyon, les Offray fils de Antoine Offray marchand libraire à Lyon au début du 17ème siècle, se sont installés Saint-Héand (Balthazard Offray Huissier Royal dont descend Agathe Rose) et Offray François) et Saint-Etienne (Offray Antoine arquebusier). Je me suis permis de vous emprunter cette photo afin qu'elle figure dans l'arbre généalogique des Offray/Offrey.

Anonyme a dit…

Merci Eric pour ces publications de tes recherches.

http://genealogies.geneamania.net/vigvaux/Fiche_Fam_Pers.php?Refer=5705

monnet a dit…

Bonjour Monsieur,
j'ai lu votre blog avec un grand intérêt. Auriez vous par hasard les dessins de
poinçons apposés sur les armes que fabriquait votre famille . la période qui
m’intéresse est à partir de 1850 .
j'ai sur un de mes fusils à chiens comme celui que vous représentez un poinçon que
je trouve pas et qui est vraisemblablement celui de l'armurier voir du canonnier.
Cordialement
Bruno MONNET
monnetbr@free.fr